Cultiver le désert : un challenge technique

Cultiver le désert : un challenge technique

Un fruitier conduit en conventionnel

Printemps 1997. Poiriers, pommiers, citronniers, dattiers et oliviers sont en production sur une vingtaine d’hectares, dans le désert égyptien, à 80 km au Sud Sud-Est du Caire, village de Al Qababt.

La ferme est située en dehors des périmètres irrigués par les eaux du Nil. L’eau est puisée à 200 m de profondeur et les cultures sont toutes reliées à un système d’irrigation par tuyaux PVC. Les fertilisants sont ajoutés à l’eau d’irrigation.

Lors de ma visite, il n’avait pas plu depuis 17 ans.

Des cultures en difficulté

L’entreprise est en difficulté; la production est faible et les coûts d’exploitation sont vraiment très élevés. Les exploitants cherchent une autre voie technique pour s’en sortir.

Plusieurs problèmes techniques se cumulent :

  • Pomper l’eau à 200 m de profondeur coûte cher, mais il n’y a pas d’autre solution.
  • L’eau est légèrement salée ; son évaporation au pied des arbres fruitiers forme par accumulation une croûte de sel qui finit par faire mourir les arbres.
  • Les cultures sont très attaquées par les parasites car il n’y a pas d’autres fermes aux alentours qui présenteraient des sources de nourriture pour ceux-ci. Il y a donc une concentration de problèmes sanitaires sur les fruitiers.
  • La lutte conventionnelle contre les parasites, permet à ceux-ci de s’adapter aux produits chimiques et de continuer à affaiblir les arbres déjà en piteux état avec l’eau salée.

Un bilan technique catastrophique

Après dix années d’exploitation, les productions ne sont pas maîtrisées et la mortalité des arbres devient critique.

Financièrement les cultures ne sont plus rentables, alors que les investissements réalisés ne sont pas finis d’être amortis.

Un changement technique voulu, mais comment faire ?

Les exploitants ont bien conscience de la situation et avant de déposer leur bilan, ils souhaitent se reconvertir vers une agriculture durable, moins coûteuse tout en ayant un bon niveau de production.

C’est dans ce cadre que je suis venu faire une visite technique de reconversion de la ferme vers une agriculture biologique.

Une formation technique nécessaire

Après avoir audité cette ferme, un besoin de formation technique s’est imposé afin de pouvoir démarrer un autre mode de production, plus en adéquation avec le milieu.

Mais avant de se lancer dans un cycle de formation il m’apparaissait important que les producteurs de la ferme Al Qababt puissent rencontrer d’autres producteurs, travaillant dans des environnements similaires, mais avec une démarche technique d’agriculture durable.

Nous sommes donc allés visiter la ferme Sekem, située dans le désert près du Caire, qui est menée en agriculture biologique et qui comprend aussi des productions fruitières.

La ferme Sekem ; une explosion de verdure et de biodiversité

La ferme avait vingt ans. Le projet avait démarré avec des herbes médicinales (thym, romarin, lavande, etc.., peu gourmandes en eau et adaptées aux sols pauvres.

Vingt ans après, la ferme présentait des céréales en production, du coton, des herbes médicinales, des légumes, des fruitiers, des moutons, des vaches, de la volaille et surtout une explosion de verdure qui tranchait avec le désert environnant fait de cailloux et de sable.

La ferme Sekem ; une stratégie économique gagnante

Vingt ans après leur démarrage, la ferme Sekem vendait toujours ses produits mais d’une manière différente.

Elle ne vendait plus seulement ses productions primaires mais des produits transformés. Le coton se retrouvait dans des vêtements en coton bio, les herbes médicinales étaient devenues des huiles essentielles, les céréales et les légumes s’étaient transformés en conserves de différentes natures.

Des ateliers de transformation s’étaient donc mis en place à la ferme.

40 fermes similaires se développaient sur l’Egypte à cette période, réalisant une commercialisation groupée. Un container par semaine partait sur le marché allemand lors de notre visite.

Les produits frais continuaient à être vendus localement.

La ferme Sekem ; un engagement social fort

La ferme Sekem s’était engagée dans une démarche de commerce équitable depuis sa création. Elle portait en plus un engagement social fort ; un village s’était construit sur place pour loger les familles, ainsi qu’une école pour les enfants des employés, une mosquée et une clinique. Des ateliers artistiques (musique, dessin, danse, théâtre,..) étaient aussi en place pour les employés et leurs familles en fin de journée.

Les frais d’éducation et de santé étaient couverts par l’entreprise.

La ferme Sekem ; un réel plus pour l’environnement

Lors de notre visite de la production fruitière, nous avons pu constater les bénéfices d’une agriculture durable ; un sol couvert d’une légumineuse locale (bessem) limitant l’évaporation du sol et donc réduisant les besoins en eau tout en procurant du fourrage pour le bétail. La fertilisation était réalisée à base de compost fabriqué avec les résidus de récoltes et les excréments des animaux.

Une biodiversité était en place qui d’une manière naturelle réduisait la pression parasitaire.

Côté productions fruitières, les rendements étaient de 50 à 70% supérieurs à ceux observés à la ferme Al Qababt, selon les productions. De plus, la qualité notamment celle des dattes était nettement supérieure.

Les producteurs ont été fortement intéressés à rentrer dans le réseau des fermes Sekem, apportant formation et aide technique locale.

19 ans après

La ferme Sekem s’est encore plus développée dans tous les domaines déjà en place. Elle est en réseau avec maintenant plus de 700 agriculteurs égyptiens.

M. Abouleish, fondateur de Sekem a reçu le prix du Développement Economique et Ethique en 2008, le Business for Peace Award en 2012 et le prix d’excellence au Global Thinkers Forum en 2013.

Des ateliers de formation professionnelle ainsi qu’une université sont en place sur la ferme.

Sekem est devenu un modèle mondial pour le développement.

www.sekem.com